La vigie postée sur la hune annonça l'approche
imminente des récifs Elkärans, nommés ainsi en
hommage au dieu de la terre Elkär, qui associé aux
pouvoirs d'Ekësha la déesse des eaux, formaient une
chaîne naturelle volcanique d'une puissance inouïe,
surgissant des mers ne laissant qu'un passage étroit
et tortueux aux travers des nappes de lave incendiaire.
C'était là, le seul passage praticable donnant accès
à l'Ile des Songes pour les marins les plus expérimentés
et qui contibuait grandement à alimenter la légende de
cette barrière en fusion, cette partie du monde que
certains hommes appelaient aussi la Mer de feu de par
l'ampleur de ce curieux phénomène.
La reine Zhuleï qui avait troqué ses fastes parures
royales contre un uniforme plus approprié à la
navigation supervisait elle même les manoeuvres de
l'équipage auprès de son capitaine juché sur le balcon
du pont arrière. Cette partie de la traversée étant des
plus périlleuse, elle s'inquièta des acrobaties de Maël
à la proue, qui semblait comme hyptotisé par ce
spectacle en tout point étonnant et envoûtant mais
aussi terriblement dangeureux pour qui manquait de
prudence et d'attention.
Elle envoya son fidèle "lieutenant" à tête de félin,
le visage toujours dissimulé sous son épaisse capuche,
quémandé le jeune téméraire.
-"Kûgär, ramènes moi cet inconscient ici, veux tu!"
A peine avait elle prononcé ces mots, que celui ci
tel un chat, bondit par dessus la rambarde du balcon,
sa cape s'étant déployée plein vent, donnant ainsi
l'impression de planer. D'un saut prodigieux sous les
yeux éberlués de l'équipage il atterit en douceur près
du mât d'artimon. Puis ensuite il traversa le gallion
royal en longeant le bastingage, filant d'un pas rapide
et léger vers l'avant en évitant avec une parfaite agilité
les hommes aux manoeuvres et leurs cordages, ses
pieds touchant à peine le plancher. Il termina sa course
par une formidable extension qui le propulsa d'un seul
coup sur le pont avant.
Pour les yeux les plus attentifs, la scène ne dura que
quelques secondes et l'être félin s'était déjà hissé à la
hauteur de Maël l'audacieux sans que celui ci ne s'en
aperçoive un seul instant, happé qu'il était par la
magnificence de la nature en effervescence.
Le jeune homme fut à tel point surpris qu'il failli
en perdre l'équilibre ainsi brusquement tiré de sa
rêverie. L'intervention soudaine de cet être fort
déconcertant qui se présenta à lui à visage découvert,
sa capuche s'étant décrochée lors du dernier saut,
laissa Maël perplexe. Il n'avait jamais cela de toute
sa jeune vie, personne ne lui avait jamais parlé de
l'existence de tels êtres. Ces yeux aux iris de chat, ce
nez aplati tel un museau, cette fine bouche qui
laissait entrevoir des canines assérées, ce visage
recouvert d'une fine couche de duvet ocre brun.
Tout rappelait l'animal dans cet être gracieux et
sauvage à la fois. Le jeune homme fut encore plus
étonné quand la créature s'adressa à lui par un
chuintement prononcé dans un dialecte inconnu.
-"Al bäran Kûgär, Rävôr!"
-"Désolé l'ami mais je ne comprends pas ce langage."
-"Pardon jeune Maître, c'est une facheuse habitude.
Je me présente, je suis Kûgär du peuple Fäelor, au
service de la reine Zhuleï.
-"Enchanté Kûgär, mais pourquoi m'appeles tu jeune
Maître"
Le Fäelor paru surpris à son tour d'une telle question.
-"N'est ce pas point là votre titre jeune Maître de
Rêves?"
Maël hésita un instant avant de répondre ne s'étant
jamais vraiment préoccupé des titres de scéances
jusqu'à présent.
-"Il paraîtrait que ce fut là mon futur titre en effet,
bien que pour certains de mes pairs je ne sois encore
qu'un apprenti. Pour l'intant présent appele moi Maël,
ça sera plus simple"
-"Rävôr, c'est comme cela que mon peuple vous
appelle, jeune Maël!"
Le jeune homme sourit
-"Merci pour l'information l'ami, va pour Rävôr dans
ce cas, je ne voudrais point offusquer ton peuple."
Les présentations étant faites Kûgär annonça le but de
son intrusion. -"La reine m'envoie vous avertir qu'il serait plus prudent pour votre sécurité de la rejoindre à l'arrière. Nous allons traverser d'ici peu une zone de très fortes turbulences et elle préfère vous savoir auprès d'elle pour se faire." Maël acquiesça à contre coeur, frustré de devoir quitté sa place de spectateur privilégié, enivré qu'il était par ce grand air marin qui lui cinglait le visage, et son crâne lisse tout frais rasé à présent. Il suivi le Fäelor jusqu'à la poupe et alla rejoindre la reine qui s'agitait près de la barre. Il fut émerveillé par son aisance à évoluer parmi les marins qui semblaient tous lui vouer une admiration sans borne ainsi qu'un profond respect à l'égal des plus grands navigateurs. Aucun homme ne bronchait, tout l'équipage s'attelait à la tâche au diapason dans un même élan. Ce côté "militaire" la rendait bien plus resplendissante aux yeux de Maël, faisant ressortir une nature bien plus puissante et farouche qu'il n'y paraissait au prime abord sous ses accoutrements royaux. En la voyant ainsi haranguer les matelots dans sa combinaison de cuir noir qui épousait parfaitement ses formes, renforcée de jambières, d'épaulières et de brassards, Maël ne pu s'empêcher de penser à son ami Erwan, tant l'air de famille était alors évident. ( illustration 1: Sandrine Gestin - illustration 2: dessin d'après une photo de peinture sur corps de Guido Daniele ) A suivre...